Et toujours au journal télévisé ces mêmes images : sous une bretelle d’autoroute, sur un terrain vague, dans des parcs proches d’immeubles résidentiels ou non, des habitats précaires fait de matériaux de récupération pour abriter des familles démunies ayant fuient une misère pour en trouver une autre.
Et toujours les mêmes commentaires sur ces personnes appelées Roms, venues d’Europe centrale, toujours les mêmes menaces de démantèlement de leurs campements de fortunes, ces bidonvilles dont la disparition en France au début des années 70 avait fait oublier une misère sociale piteusement camouflée en dispersant les familles dans les logements sociaux ou sur la route.
L’Etat au gré des changements de majorité n’a eu de cesse de faire semblant de s’intéresser au problème dans le cadre de politiques publiques spécifiques avec en réalité toujours la même conclusion : « le démantèlement des campements illicites », sans proposition de relogement, sans proposition d’insertion, sans avenir.
On sait combien nos édiles, jusqu’aux plus hauts niveaux, ne se gênent pas pour stigmatiser ces familles, pour proférer des amalgames et des généralités fondées sur leur ignorance.
Présentés comme un groupe à part, associé à la délinquance, à l’insalubrité, et ne souhaitant pas s’intégrer, les Roms ne parviennent pas à surmonter les obstacles administratifs qui leurs interdisent l’accès aux droits pourtant communs : scolarité, protection de l’enfance, accès à l’eau courante, protection contre les maladies etc…
Plutôt que de se focaliser sur les lieux de vie et sur leurs destructions, ce sont les personnes concernées qui devraient être au cœur des attentions de nos élus.
Le rôle des associations et du CNDH Romeurope (Collectif National des Droits de l'Homme) est essentiel pour revendiquer une politique sociale envers ces populations précaires de l’Europe de l’Est et pour permettre à celles-ci d’accéder sans entrave au droit commun dans un processus d’inclusion sociale. Il convient, en outre, de condamner fermement les propos stigmatisant.
A l’heure ou la France accueille de nombreux migrants, il est difficile de comprendre le manque d’humanisme envers une population migrante, arrivée dès le début des années 90, qualifiée de « problème Rom ». N’est-il pas incompréhensible que certains soient exclus pour une appartenance réelle ou supposée à une ethnie alors que d’autres sont accueillis sans condition.
En 2013, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et le European Roma Rights Centre (ERRC) recensaient au moins 19 000 personnes expulsées de leur lieu de vie.
En 2014, ce sont plus de 13 000 personnes qui ont été expulsées.
En 2015, la pratique s’est intensifiée et les Roms vivent au rythme de 150 expulsions par semaine, avec un coût pour les finances publiques estimé à plusieurs dizaine de millions d’euros.
Et en dépit de ces expulsions, le nombre de Roms reste stable !
Cela prouve bien que la politique utilisée n’est pas la bonne, indépendamment de son inhumanité.
Ces expulsions massives, y compris durant la trêve hivernale, se font au mépris de la scolarisation des enfants (première marche pour accéder à l’intégration), du handicap ou de la maladie d’une partie de cette population.
Les associations et les collectifs de soutien peinent à faire valoir la nécessité de la mise en place d’une politique incluant cette population dans un plan de lutte contre la pauvreté, la santé, l’emploi, le logement et de lutte contre le racisme.
Mais il faut bien dire que parfois même au sommet de l’Etat, les Roms sont décrits comme une population non intégrable et criminogène pour justifier d’une politique à part, exorbitante du droit commun, pour preuve les propos de Monsieur Manuel Valls, ministre de l’intérieur, considérant que « les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie » ( Le Parisien, édition du 24 septembre 2013).
Et l’Union européenne dans tout cela ?
Si prompte à édicter des normes dans tous les domaines au risque de scléroser l’économie et d’étrangler les petits producteurs, l’Union Européenne fait preuve de discrétion quant aux pratiques illégales d’expulsion et d’une surprenante avarice concernant les fonds européens qui pourraient permettre d’apportant des solutions substitutives aux bidonvilles et aux squats.
Ou alors, dans un petit sursaut, elle encourage l’idée de villages d’insertion comme des « pratiques prometteuses », accréditant l’idée que les besoins reposent sur un habitat adapté pour les Roms, alors qu’il n’encouragerait qu’une ghettoïsation ethnique. Bien au contraire, l’insertion passe obligatoirement par le logement dans un habitat diffus.
D’ailleurs, il existe un risque évident à se concentrer uniquement sur l’aspect logement sans l’intégrer dans une réflexion plus large y associant l’insertion, l’accompagnement médico-social et l’insertion professionnelle.
Le financement de ces actions seraient probablement assuré par l’arrêt des expulsions et de leur montant exorbitant. Cela suppose un moratoire des expulsions et un contrôle des entrées sur le territoire.
Les priorités sont connues : accès à l’eau, à l’électricité, aux sanitaires, ramassage des ordures ménagères, sécurisation des lieux de vie.
L’implication de tous les acteurs est indispensable : l’Etat, les collectivités territoriales (mairies, départements, régions, agglomérations), les associations et collectifs locaux, sans oublier d’associer les personnes concernées, dans le respect des droits fondamentaux des personnes (application du droit français, du droit de l’Union européenne, de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des nombreuses conventions internationales que la France se flatte d’avoir signées).
Cela passe par l’abandon des pratiques discriminantes de la part de l’ensemble de ces acteurs. En effet, les propos stigmatisant la population Roms tenus jusque dans les plus hautes sphères privées ou publiques, relayés par la presse, légitiment les actes de violences racistes. Une vigilance toute particulière doit être apportée tant au discours des médias que de celui des personnes détentrices de l’autorité de la force publiques et tout manquement doit être sanctionné.
Si nous examinons l’état de l’accès aux droits, nous ne pouvons qu’évaluer l’ampleur du chantier :
- Droit à la scolarisation :
Un exemple illustre bien l’attitude discriminatoire de certains élus qui refusent de scolariser des enfants Roms au prétexte de leur absence de lien avec la commune ou d’une expulsion imminente. Ces élus sont dans l’illégalité puisque le code de l’éducation prévoit que le lieu de vie prime : « le fait qu’une famille soit hébergée de manière provisoire sur le territoire d’une commune est sans incidence sur le droit à la scolarisation. En effet, c’est la résidence sur le territoire d’une commune qui détermine l’établissement scolaire d’accueil (article L. 131-6 du Code de l’éducation) ».
Accessoirement, je rappelle que les maires ont l’obligation de recenser chaque année tous les enfants résidant sur leur commune et en âge d’être scolarisés (article L. 131-6 du Code de l’éducation). Force est de constater que certains élus « oublient » systématiquement les petits Roms.
- Protection de l’enfance :
D’une manière plus générale, une politique de protection des enfants Roms doit être mise en place, car ne nous leurrons pas, nombreux seront ceux qui resteront en France et qui y feront leur vie. Leur donner les atouts pour y parvenir dans les meilleures conditions relève d’un devoir de la puissance publique. Il faut accroitre les moyens des services de l’aide sociale afin que ceux-ci puissent évaluer les besoins de certains enfants et offrir notamment aux jeunes filles un accompagnement lors des grossesses précoces.
Quant à la justice, le prononcé de peines de prison prononcées à l’encontre d’enfants contraints de commettre des délits sous la contrainte des mafias de l’est va à l’encontre de plusieurs textes qui interdisent la condamnation d’auteurs de délits commis sous la contrainte. D’ailleurs, cette politique répressive renforce l’emprise des exploiteurs contre lesquels devraient lutter plus efficacement les polices Européennes.
Considérés comme une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale, alors que le plus souvent les Roms ne perçoivent aucune aide, la justice applique la notion de « menace réelle, actuelle et suffisamment grave envers un intérêt fondamental de la société » pour justifier des décisions d’éloignement envers des personnes ayant commis des actes uniquement motivés par leur besoin de survie, pour lesquels ils ne sont souvent pas poursuivis. Il s’agit là d’un détournement d’un amendement visant la liberté de circulation des citoyens européens venu se glisser à la dernière minute dans la loi sur le terrorisme de novembre 2014. L’article – qui ne mentionne pas le terrorisme – prévoit une interdiction administrative du territoire pour tous les citoyens européens représentant « une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ». La boucle est bouclée !
Nous retrouvons là les mêmes écueils que ceux auxquels sont confrontés les nomades Français, désignés sous le vocable administratif contestable de « gens du voyage », concernant l’une des principales ruptures dans l’accès au droit commun : l’adresse.
Pour effectuer la moindre démarche, la domiciliation est indispensable mais il s’avère qu’il reste encore certains CCAS (Centre communaux d’action sociale) ou CIAS (Centre intercommunal d’action sociale) qui refusent de reconnaître la présence des Roms sur le territoire de la commune alors qu’ils ont l’obligation légale de les domicilier. L’effet est double : impossibilité d’accéder à la quasi-totalité des droits et désinvolture des municipalités qui ne sentent pas concernées par cette population.
Les conditions de vie précaires dans les squats ou les bidonvilles affectent la santé d’une population démunie par sa non maîtrise de la langue et la complexité des démarches administratives. A cela s’ajoute la rupture des soins en cas d’expulsion.
Au 1er janvier 2014, les mesures transitoires restreignant l’accès au marché du travail salarié pour les ressortissants Bulgares et Roumains ont assoupli leur accès à l’emploi. Mais les barrières demeurent nombreuses : non maîtrise de la langue, manque de formation et menace permanente d’une expulsion maintiennent les Roms dans la spirale de l’exclusion de l’insertion socioprofessionnelle, d’ou leur recours au travail au noir. Pourtant, des dispositifs existent pour l’apprentissage du français par les migrants extracommunautaires.
Pour conclure sans esprit de polémique, je constate le grand écart entre le sort de citoyens européens en grande précarité excluent d’un dispositif social, vivants dans des bidonvilles et sous la menace permanente d’un bannissement et celui de la vague numériquement beaucoup plus importante de migrants provenant de zones de guerres et auxquels la France offre la possibilité de se prévaloir de critères de séjour dans des centres d’hébergements temporaires en cours de mise en place.
Les dénis de droit pour les uns et l’accueil mal maîtrisé des autres participent à l’incompréhension de ces populations stigmatisées dont l’inclusion sociale paraît compromise par la maltraitance institutionnelle dont elles sont les victimes.
Olivier Blochet
Le 17 septembre 2016
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