Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 octobre 2020 5 09 /10 /octobre /2020 17:15
LES DIX PETITS NÈGRES d'AGATHA CHRISTIE

 

                                                               CHRONIQUE NOIRE N° 48

 

Le roman d’Agatha Christie, publié à plus de 100 millions d’exemplaires à travers le monde, aura connu un destin peu banal.

La romancière s’inspira d’une chanson anglaise de 1869 intitulée « Ten Little Niggers (« Les dix petits nègres »), adaptée elle-même d’une chanson américaine écrite en 1868 sous le titre de « Ten Little Indians ». Pour les besoins de son intrigue, l’auteure n’en modifia que le dernier vers.

Après avoir séjourné à plusieurs reprises sur Burgh Island, une île située dans le comté du Devon, elle y situa son histoire en appelant le lieu avec un souci de cohérence « Nigger Island » (« L’île du nègre »), sans penser à mal.

Toutefois, le terme nègre ayant été jugé offensant, certaines éditions anglophones l’ont rebaptisée en « Indian Island » (« L’île de l’Indien)- on appréciera la cohérence -, puis en « Soldier Island » (« L’île du Soldat »).

Le roman paru aux États-Unis en 1940 sous le titre de « And Then There Were None » (« Et il n’en resta aucun ») correspondant au dernier vers de la chanson originale. Ce titre fut repris au début des années 80 au Royaume-Uni.

En France, toutes les éditions conservèrent le titre « Les dix petits nègres » jusqu’à récemment, après qu’Amazon retire ce livre de son catalogue au motif qu’ « il n’était pas conforme aux critères de la société » (sic). Cela n’empêche pas celle-ci de vendre encore  aujourd’hui des exemplaires d’occasion avec le titre « diabolique ».

L’éditeur français sous la pression d’une certaine opinion publique vient de rebaptiser le roman en « Ils étaient dix », le nom de l’île est devenu « L’île du soldat » et le mot « nègre » utilisé 74 fois dans les pages a été remplacé par celui de « soldat ».

L’éditeur a toutefois fait un pied de nez aux censeurs en indiquant sur la couverture que ce roman avait été précédemment publié sous le titre de « Les dix petits nègres ».

Dans la même mouvance hygiéniste, les écoles catalanes ont récemment retiré de leurs bibliothèques « La Belle au bois dormant » au motif qu’à la fin du conte, le baiser du prince à la belle endormie n’est pas consenti !

Il s’agit bien d’une censure rampante, menée tambour battant par des hygiénistes dont le but est d’effacer l’histoire au lieu de l’expliquer.

Pour combattre le racisme, il serait plus judicieux de contextualiser les œuvres plutôt que de les « corriger » en exerçant des pressions morales le plus souvent empreintes d’une méconnaissance totale des conditions dans lesquelles sont nées les œuvres.

La dénonciation du racisme ne doit pas passer par une purge intellectuelle rétroactive dont l’objectif serait d’effacer la mémoire et le patrimoine culturel collectif.

Devons-nous désormais ne plus admirer l’art nègre en raison de la présence d’un mot entré, qu’on le veuille ou non, dans le langage courant sans forcément véhiculer une once de racisme. Ou alors, il faut censurer Aimé Césaire et Léopold Sedar Senghor qui revendiquaient l’emploi de ce terme.

Voltaire sera-t-il la prochaine victime de cette censure ? Dans « Candide», un chapitre, bien qu’antiraciste, est intitulé « Le nègre de Surinam », et cause aggravante, il est au programme de l’école républicaine.

Il serait bon que nos censeurs comprennent les vrais sens des textes sinon ils voudront également interdire le magnifique poème de l’écrivain haïtien Jacques Roumain : « Sales nègres » (*).

 

Olivier Blochet

Le  9 octobre 2020

 

(*) Pour apprécier l’idée que l’on peut refuser l’oppression par la poésie, j'invite le lecteur à écouter les versions récitées de ce poème sur You tube ainsi que la version chantée par Stomy Bugsy sur une musique de Diop.

 

 

© Olivier Blochet – 9 octobre 2020

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : LE BLOG DE OLIVIER BLOCHET
  • : Vous trouverez sur mon blog : mon actualité d'auteur sur les salons du livre, mes chroniques littéraires, mes chroniques noires, mes brèves, mes interviews d'auteurs, mes conseils de lectures, mes chroniques sur les Tsiganes, celles sur les musiciens de jazz. Toutes mes chroniques sont protégées par un copyright et les dispositions légales sur la liberté d'expression.
  • Contact

Recherche

Pages

Liens