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24 janvier 2020 5 24 /01 /janvier /2020 23:05
JE NE LIRAI PAS "LE CONSENTEMENT" DE VANESSA SPRINGORA

 

 

CHRONIQUE NOIRE N°39

 

 

 

 

Non, je ne lirai pas « Le Consentement » de Vanessa Springora, le récit de sa relation amoureuse durant 3 ans avec l’écrivain Gabriel Matzneff, entre ses treize et seize ans. Une relation sous emprise selon elle, liée à sa propre carence familiale.

La parution tardive de cet ouvrage de Vanessa Springora, désormais âgée de 47 ans, me rend perplexe. Le scandale autour de cette publication, l’opprobre contre Gabriel Mazneff et l’ouverture d’une information judiciaire à son encontre pour fait de pédophilie me paraît surréaliste.

Les journaux titrent « A 83 ans, Matzneff rattrapé par son passé »

 

Quelle hypocrisie !

 

De qui parle-t-on ? De celui qu’encensait François Mitterrand, celui dont les amis étaient Philippe Sollers, Emil Cioran, Christian Giudicelli, Yann Moix, Jean d’Ormesson, Frédéric Beigbeder, celui que Bernard Pivot invita à six reprises dans son émission littéraire « Apostrophe », avec l’arrière pensée, sans doute, de faire un bon audimat avec le parfum de scandale entourant son invité.

Gabriel Matzneff n’a jamais caché son goût pour les adolescentes. Son journal publié au fil de l’eau comprend plus de 10 volumes dans lesquels il ne dissimule rien de ses préférences sexuelles interdites. Son essai "Les moins de seize ans" ne présente aucune ambiguïté non plus.

Aujourd’hui, les éditeurs ouvrent le parapluie moral pour ne pas être contaminés, pratiquant hypocritement la censure en retirant de la vente les livres de l’écrivain : Gallimard, La Table Ronde (groupe Madrigall, contrôlé par Antoine Gallimard), Léo Scheer et Stock.

Foutaise ! On sait que les livres sont relus par l’avocat des éditeurs pour éviter des procès, a fortiori ceux de Matzneff dont ses éditeurs connaissaient les transgressions.

Et Antoine Gallimard de prétendre être opposé à « toute forme de censure ».

Dans cette célèbre maison qui a édité des « palpeurs » comme Gide, Montherlant ou René Schérer, les couloirs risquent d’être encombrés de diables chargés de livres destinés au pilon !

À croire que certains perdent la mémoire.

Où sont ceux qui sur le plateau d’«Apostrophe» écoutaient attentivement avec des rires complices les récits du dandy de la littérature couvert de très jeunes filles au sens propre et au sens figuré ?

Complaisamment, on nous a ressorti la séquence dans laquelle la Canadienne Denise Bombardier fustige la justice française et l’impunité de Matzneff. Quelques jours plus tard, avec un élan de solidarité, Sollers traita celle-ci de « mal baisée ». Plus récemment, Josyane Savigneau , qui chroniqua avec fidélité ses livres dans « Le Monde », fut l’une des seules à ne pas l’avoir lâché dans la tourmente en dénonçant « une chasse aux sorcières ».

Bien entendu, aussi bon écrivain qu’il le soit, Gabriel Mazneff n’est pas au-dessus des lois, pas plus que ne l’était Michel Tournier dont l’œuvre comporte également des déclarations pédophiles.

Dans « Le consentement », Vanessa Springora quitte le rôle de la victime pour endosser celui du témoin nous dit-on. Un témoin qui se révèle bien tardivement après que Mazneff ait publié un roman, un recueil de poèmes et un tome de son journal, voilà bien des années, sur cette relation amoureuse qui n’avait jusqu’à présent donné lieu à aucune réaction de l’intéressée.

Les "révélations" du livre contenu dans le livre de Vanessa Springora ont incité le parquet de Paris à ouvrir une enquête du chef « de viols commis sur la personne d’un mineur de 15 ans au préjudice, notamment, de Vanessa Springora », a écrit le procureur, Rémy Heitz, dans un communiqué, le vendredi 3 janvier.

Dans la dernière loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, adoptée le 1er août 2018, le délai de prescription pour les crimes sexuels (le viol) a été porté à 30 ans, à partir de la majorité de la victime. Cela veut dire qu’en théorie, une victime peut donc porter plainte – et les faits doivent être jugés – jusqu’aux 48 ans de la victime. Vanessa Springora est âgée de 47 ans, elle en aura 48 en mars prochain et elle peut encore porter plainte. Mais pourquoi avoir écrit ce livre avant de porter plainte pour autant qu’elle le fasse ?

L’enquête dira donc rapidement si les faits sont prescrits ou pas, concernant Vanessa Springora, demeurant entendu que « les investigations s’attacheront à identifier toutes autres victimes éventuelles ayant pu subir des infractions de même nature sur le territoire national ou à l’étranger », a précisé le parquet.

Ainsi l’hyper moralisme ambiant rattrape celui qui n’a jamais fait mystère de sa pédophilie, ou plutôt de sa philopédie comme il aime à la définir dans son œuvre littéraire.

L’enquête sera facilitée par ses propres témoignages depuis les années 1970, et à ce compte-là, la justice découvrira peut-être d’autres victimes potentielles, à moins que celles-ci ne se reconnaissent pas dans ce rôle.

Vous l’avez compris, cette affaire provoque en moi des sentiments mitigés.

Je n’en fais pas mystère : j’apprécie l’écriture de Gabriel Matzneff , son dandysme, son courage politique. En effet, dans les années 90, il fut l’un des rares intellectuels français à prendre la défense du peuple serbe, collectivement diabolisé. Les rares qui ont eu le courage de le faire - Handke, Philippe Besson, Alain Paucard, Jean Dutourd ou Thierry Séchan - se sont ont pris des coups, car il fallait être pro bosniaque en oubliant que les Serbes étaient nos alliés durant la Seconde Guerre mondiale, et les Bosniaques les alliés des nazis.

La grande indignation théâtrale et tardive des ex-amis de Gabriel Matzneff n’est rien d’autre qu’une tartufferie indigne.

 D’ailleurs, où est donc le scoop du livre de Vanessa Springora, qui s’étonne du retentissement de son livre.

Hypocritement, on semble découvrir les pratiques d’une période libertaire irresponsable, nous entendons même dire que : « Les mœurs ont changé ».

Tout cela est faux. La justice a su poursuivre les crimes d’une population de gens ordinaires composée de curés et de professeurs, prenant toutefois le soin de jeter un voile pudique – c’est-à-dire en n’ouvrant pas d’enquête - sur les mœurs d’un ancien ministre français participant à des partouzes pédophiles à Marrakech (1) ou encore sur les déclarations de Daniel Cohn-Bendit sur l’initiation sexuelle des enfants. 

Rappelons-nous du silence qui suivit la publication dans « Le Monde » du 26 janvier 1977, d’une lettre à l’initiative de Gabriel Matzneff, dont maints signataires étaient, entre autres, pédopsychiatres, psychanalystes ou psychologues, en soutien à des pédophiles emprisonnés (affaire dite de Versailles) dont la durée de prison préventive semblait trop longue (2).

Ces derniers jours, certains justiciers de la dernière heure contestaient le prix Renaudot – essai accordé à Gabriel Matzneff en novembre 2013. Veulent-ils que le prix lui soit retiré comme on dégrade un officier déserteur ?

Je me souviens du commentaire de Gabriel Matzneff à la sortie du restaurant Drouant : « Des écrivains sulfureux et libres sont indispensables à la respiration de cette nation ».

Pas sûr, mais il faut reconnaître que la littérature est riche d’ouvrages portant sur les émotions amoureuses de certains adultes pour des jeunes gens des deux sexes. Le « Lolita » de Nabokov bien sûr, mais aussi les ouvrages de René Schérer, Pierre Louys, de Tony Duvert et de bien d’autres. Faudrait-il également retirer de la vente tous leurs livres ?

Dans ce cas, il faudra aussi s’attaquer aux innombrables chansons qui évoquent également ces amours interdits. La liste qui suit n’est pas exhaustive !

 

Henri Salvador, Gigi, 1959

Charles Aznavour, Donne tes seize ans, 1963

Antoine, Je l’appelle Canelle, 1966

Maurice Biraud, La petite (duo avec France Gall), 1967

Léo Ferré, Petite, 1969

Léo Ferré, Le Conditionnel de variété, 1970

Maurice Alcindor, Détournement de mineur, 1971

Serge Gainsbourg, Ballade de Melody Nelson, 1971

Michel Polnareff, I love You because, 1971

Georges Brassens, La Princesse et le Croque-notes, 1972

Maxime Le Forestier, Fontenay aux Roses, 1972

Michel Sardou, Je veux l’épouser pour un soir, 1974

Michel Berger, Si on pouvait vraiment parler ( duo avec France Gall ) 1974

Maxime Le Forestier, La poupée, 1975

Yves Jouffroy, L'écolière, 1977

Serge Gainsbourg, Sea, Sex and Sun, 1978

Hubert-Félix Thiéfaine, Enfermé dans les cabinets (avec la fille mineure des 80 chasseurs), 1978

Philippe Chatel, Ma lycéenne, 1978

Georges Moustaki, Fugue en la mineure, 1979

Charlotte Gainsbourg, Lemon Incest, 1984

Serge Gainsbourg, No comment, 1984

C Jérôme, Femme enfant femme enfin, 1991

La Fouine, TLT, 2013

Booba, AC Milan, 2013

La Fouine, Autopsie, 2013

 

Aujourd’hui, il est plus facile à une justice complice, en raison de sa passivité passée, de s’en prendre à un octogénaire et d’en faire un bouc émissaire, que de s’attaquer à une époque où « il était interdit d’interdire ».

 

Non décidément, je ne lirai pas « Le consentement » de Vanessa Springora, car je n’ai pas envie de hurler avec les loups.

 

 

Olivier Blochet

 

24 janvier 2020

 

© Olivier Blochet – 24 janvier 2020

mise à jour le 20 décembre 2021

 

(1) Voir la déclaration fracassante de Luc Ferry le 30 juin 2011 sur Canal + au sujet de partouzes pédophiles à Marrakech impliquant un ministre français.

 

(2) Le 23 mai de la même année, il signe — avec notamment Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers, Michel Foucault, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Alain Robbe-Grillet, Françoise Dolto ou Jacques Derrida — une lettre ouverte à la commission de révision du Code pénal, les signataires demandant « que le dispositif pénal soit allégé, pour que de telles affaires passibles de la cour d’assises soient jugées par un tribunal correctionnel », car « la détention préventive, en matière correctionnelle, ne peut excéder six mois ».

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commentaires

M
Pour info : les lois pénales plus sévères ne sont pas rétroactives. Les faits mentionnés par Vanessa Springora étaient bien prescrits malgré l'adoption de la loi de 2018 qui ne s'appliquaient pas à elle, la prescription étant déjà acquise.
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L
Je ne comprends pas. Pourquoi évoquer les délais de prescription et questionner le temps qu’a mis l’auteur pour faire paraître son récit ? « L’initiation sexuelle » des enfants par les adultes est une abomination. Connaissez-vous ne serait-ce qu’un peu la psyché des victimes de viol et d’emprise psychologique ? <br /> Matzneff a bénéficié d’une époque et d’un climat hautement complaisants et continue aujourd’hui d’être protégé. Ce pauvre octogénaire comme vous le nommez, qui se targue d’être parti à la recherche de « culs frais » aux Philippines...<br /> En quoi est-ce un argument pertinent, le fait qu’il soit loin d’être le seul pédophile parmi le paysage culturel contemporain? Cela excuse-t-il ses propos, ses actes et l’impunité totale dans laquelle il (sé)vit toujours? Il se trouve que ce livre, Le consentement, l’évoque lui et lui seul. <br /> Et surtout, ce que je ne comprends pas à la lecture de votre « article », c’est votre message : qui s’en soucie, que vous lisiez ou non Springora ? On a bien compris que vous vous rangiez du côté de Matzneff, ce qui n’est pas en soi très reluisant. Mais surtout vous questionnez le statut de victime de l’auteur, ce qui vous range d’office du côté des complices (et, selon moi, du côté des vieux libidineux restés bloqués, tout comme votre idole, à l’âge de la puberté).
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O
À l'avenir, passez votre chemin madame, vous ne vous rendez même pas compte de vos outrances.
L
Monsieur, <br /> <br /> Vous n’avez manifestement pas compris le sens de mon commentaire. Puisque vous prenez la peine de m’écrire à mon adresse personnelle, je prends la peine de vous répondre et de m’expliquer plus avant. <br /> <br /> Effectivement tout le monde était au courant de ses pratiques. C’est le contexte socio-culturel complaisant (euphémisme) dont j’ai parlé. Preuve en est la fameuse pétition dont Matzneff est à l’origine et qui a été signée par des personnalités bien sous tous rapports. Cet état de fait, aussi insupportable soit-il, est indissociable de ce contexte de « libération des moeurs » (quelle perversité!). Pour autant, cela reste condamnable, même des décennies plus tard. <br /> <br /> « … et que madame Springora aurait pu bien avant dénoncer la situation (…) » : à nouveau, je vous invite à vous renseigner sur la notion d’emprise ainsi que sur la psyché des victimes d’infractions sexuelles. D’autres notions telles que la fascination (intellectuelle, notamment), la honte et l’ambivalence, parmi d'autres, entrent en jeu pour expliquer un si long silence. Une adolescente de 13, 14, 15 ans n’a pas la maturité psychique suffisante pour abréagir une telle effraction physique et psychique. Cela n’a rien d’une nouveauté ; je vous propose de lire le travail du psychanalyste Sàndor Ferenczi sur la « confusion des langues entre les adultes et l’enfant » (1933, si mes souvenirs sont bons). <br /> <br /> Il n’est pas non plus évident, comme vous semblez l’insinuer, d’aller à l’encontre de sa propre mère. Il faut parfois des années pour réaliser et davantage encore pour accepter que celle qui est censée nous protéger ne l’a pas fait. Ce n’est pas à la portée de tout le monde et il a probablement fallu du courage à Madame Springora pour le dire de cette façon. <br /> <br /> Je suis entièrement d’accord : l’attitude de ceux qui ont accueilli Matzneff avant de s’en détourner est critiquable et affreusement hypocrite. Cela arrive tard certes, mais cela se produit enfin. Et il était temps… Parce que cela arrive tard, il ne faut pas tenir compte de son témoignage ? Y’a t-il une limite de temps pour entendre la souffrance ? Socialement parlant, la prise de conscience semble possible, même à retardement. Il faut espérer que le témoignage de Madame Springora incitera d’autres jeunes gens (et d’autres, plus si jeunes) à ne plus porter la responsabilité des faits. Encore faut-il avoir le courage de reconnaître que l’on a eu tort et avoir l’humilité d’ouvrir son livre. Mais après tout, l’avis des « gens comme moi »… <br /> <br /> Aussi, mon système nerveux se porte bien, je vous remercie pour votre sollicitude :-) Par ailleurs, vous faites bien de ne pas attendre mes excuses, cela serait bien vain. <br /> <br /> Cordialement,<br /> Laura Nakam
O
Bonjour. Vous n'avez manifestement pas compris le sens de ma chronique. Non madame je ne me range pas du côté de Mazneff, j'indique simplement que tout le monde était au courant, journalistes critiques littéraires (Bernard Pivot le premier),hommes politiques, philosophes éditeurs etc. et que madame Springora aurait pu bien avant dénoncer la situation dont elle a été la victime, en partie à cause de sa propre mère. <br /> Ce que je critique, c'est l'attitude de tous les gens qui le recevait sur leurs plateaux de télévision ou sur leurs antennes pour faire de l'audimat, et qui se détournent tardivement de lui avec hypocritie. Cette remarque vaut également pour ses éditeurs qui connaissaient le contenu de ses livres.<br /> Alors je mets votre jugement à mon égard pour un égarement, car compte tenu de l'heure tardive à laquelle vous avez lu ma chronique, votre cerveau ne devait être bien oxygéné.
M
vous n'avez jamais lu "Lolita" pour le comparé a Matzneff, c'est un livre qui dénonce la pedophile et non qui essaye de la normaliser
Répondre
O
Bonjour tout d'abord. <br /> Oui j'ai lu "Lolita" et en aucun cas je n'ai comparé son auteur à Gabriel Matzneff dans ma chronique. "Lolita" évoque les émotions d'un homme mûr, un thème repris avec plus ou moins d'arrières pensées par d'autres auteurs. En aucun cas, je ne fais l'apologie de la pédophilie. Mon texte traite de l'hypocritie, dommage que vous n'en ayez pas saisi le sens.

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