................................CHRONIQUE NOIRE n° 5............................
Après plusieurs crises économiques majeures et les discours sur le ton de « nous allons mettre en place des garde-fous pour éviter de nouvelles errances », force est de constater que les nouvelles règles prudentielles imposées principalement aux banques avec une hausse des ratios de fonds propres et l’interdiction de mélanger les opérations de banques de dépôt et celles de banque d’affaires ne valent pas tripette.
Tapis dans l’ombre, des spéculateurs se sont démultipliés hors de tout contrôle et à la seule lueur leurs écrans, ils continuent de jeter les bases d’ une crise financière sans précédent.
Hier les banques, aujourd’hui des fonds d’investissement, des courtiers, des hedges funds ou de simples négociants agissent dans la coulisse en dehors de tout contrôle réglementaire. Ce secteur, appelé « shadow banking » (banque de l’ombre) se substitue aux banques pour prêter des sommes colossales évaluées à 90 000 milliards de dollars en 2016. Si nous comparons ce volume à la bulle spéculative de 2007, on s’aperçoit qu’elle a augmenté de 30 %, portant le risque systémique à des niveaux jamais atteints.
Cette dette phénoménale est la conséquence de plusieurs éléments : la politique des banques centrales maintenant des taux proches de zéro, les exigences imposées aux banques de reconstituer leurs fonds propres pour couvrir leurs risques de trading et de crédit, l’abandon par celles-ci de certains marchés spéculatifs puisque la réglementation leur interdit de spéculer pour leur propre compte, l’action des lobbying pour contrecarrer la volonté du Congrès américain et de l’Union européenne pour réglementer le « Shadow banking » et la diversité de ses opérations : financement à court terme, ventes à découvert, limites sur les positions spéculatives, dérivés OTC, etc.
Cette autoroute non réglementée a attiré de plus en plus d’opérateurs, moins solides financièrement que les banques, bien moins prudents que celles-ci, sans tabou et tout aussi motivés par l’appât du gain.
Ces financiers de l’ombre ont aisément pris des parts des marchés aux banques. Exemptés de contraintes de fonds propres et de responsabilité, ils se sont développés et le risque s’est déplacé sans contrôle. Jusqu’à présent, ils sont sortis gagnants de la crise, mais peut-être seulement en apparence.
En marge des bourses officielles, non conventionnelles et moins chères, des salles de marchés privées, se sont créées réunissant des traders, des courtiers, des gérants de fonds d’investissement se livrant à des échanges de titres dans le plus grand secret jusqu’à leur exécution. Ces salles de marché représentent à ce jour 40 % du nombre total des ordres de bourse dans le monde, on les appelle des « dark pools ».
Les ravages économiques consécutifs aux subprimes, ces crédits immobiliers titrisés et distillés dans des produits financiers auprès des consommateurs, n’ont manifestement pas servi de leçon.
Aujourd’hui, des opérations similaires prospèrent avec la dette des entreprises les moins solvables, emballées dans un produit nommé CLO ou « collateralized loan obligation » dans lequel les financiers de l’ombre logent les créances douteuses d’entreprises. Astucieusement mixées et découpées en tranches, elles sont proposées à des investisseurs peu avisés qui s’apercevront tardivement de leur faible liquidité et de la difficulté à les revendre, surtout en cas de fortes secousses boursières et de hausses des taux d’intérêt.
Dans ce dernier cas, le financement à court terme risque de s’assécher et on sait que la crise de liquidités entraîne des ventes à « prix cassé » contribuant à la spirale baissière des marchés. Ce type de produits risque donc de coller au portefeuille des gérants de fonds (qui ne peuvent pas emprunter aux banques centrales à l’inverse des banques) ou à celui de l’épargnant, comme le sparadrap à la chaussure du capitaine Haddock.
N’oublions pas que les crises financières se sont multipliées depuis 30 ans et que leur rythme est de plus en plus rapproché :
- 1987 : après des années d’euphorie boursière, la remontée des taux américains provoque un « lundi noir » sur les bourses mondiales qui enregistrent une baisse moyenne de – 22,6 %.
- 1998 : Victime de la crise russe, le fonds d’investissement américain LTCM se déclare en faillite. Pour éviter un effet domino, le gouvernement fédéral décide de lui injecter 3,6 milliards de dollars.
- 2000 : après 5 années d’emballement sur les valeurs technologiques, la bulle internet éclate et de nombreuses entreprises innovantes de ce secteur font faillite et le CAC 40 dévisse de 60 % en quelques mois.
- 2007 : La hausse des prix spéculatifs de l’immobilier américain (qui a donné naissance aux subprimes) est stoppée par la remontée des taux d’intérêt. Les emprunteurs se trouvent dans l’impossibilité de rembourser leurs emprunts à taux variables et l’immobilier se met à baisser entraînant des difficultés majeures pour les banques.
- 2008 : Victime expiatoire de la crise des subprimes, la banque Lehman Brother subit une faillite retentissante, préalable à une crise financière ressentie jusqu’en Europe.
- 2015 : Le fonds spéculatif américain Third Avenue, confronté à une crise de liquidités, suspend ses transactions sur l’un de ses fonds.
- 2016 : l’endettement public de nombreux États atteint un niveau préoccupant.
Ajoutons que les engagements de pratiquement toutes les banques sur des Etats insolvables deviennent des bombes à retardement et ne permettent plus de garantir, à terme, les ratios de capital et de liquidités et tout simplement leur solvabilité en cas de faillite majeure d’un État.
Il est donc urgent de réglementer le « shadow banking » et de mettre en place, comme pour les banques, une réglementation stricte. Celle-ci devrait permettre de brider les acteurs de l’ombre qui se livrent à la spéculation et à des opérations sur les marchés de financement à court terme, avant le déclenchement d’une crise financière sans précédent aux conséquences désastreuses.
Olivier Blochet
Le 07 décembre 2016
Copyright : Olivier Blochet – décembre 2016